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La malédiction de Sisyphe ou… La maladresse en boucle/Mohamed Mahmoud Ould Bé Ould Né

Certaines situations relèvent d’une telle réminiscence qu’elles s’imposent à nous en unique faculté ordonnée par le ciel. Pourtant, le monde évolue un peu vite ailleurs et les grands enjeux avec lui. Mais nous jouons, à sa table, toujours la même main, les mêmes cartes. Il s’agit là d’un mépris inégalé pour toutes ces aspirations et ces générations qui se succèdent dont certaines ont été bradées et d’autres se bousculent sur la rampe des olympiades de l’immigration clandestine. Oui, ce n’est pas nouveau : les mêmes causes produisent les mêmes effets et nos politiques n’y dérogent pas!

Sinon comment m’expliquerez-vous que nos enfants fassent le mur pour aller chez l’oncle Sam, alors que notre avenir national promet pétrole, or, gaz et prospérité mixés à la magie de la SCAPP (Stratégie de croissance accélérée et de bien-être partagé), à présent doublée du levier Taahoudaty-Toumouhaty ? Il n’y a, me direz-vous, aucune explication : cela vaut pour d’autres ressources, dans le passé et le présent, le fer, le poisson et surtout les femmes et les hommes de ce vaillant peuple. Serait-ce un mauvais poil, une malédiction, un mauvais karma, la scoumoune ?

Sans être matheux (encore une fois), en faisant juste usage intelligent des quatre opérations arithmétiques de base, comment expliquer alors nos difficultés ? Oui, évitons surtout les discours académiques, les analyses stratégiques, les sondages, etc. Tout cet arsenal d’expertises émérites qui nous ont gavé avant la chute de plusieurs de leurs modèles. Certains comme moi ne comprendraient plus ! Il paraît qu’un chef auquel on reconnaissait un simple C.A.P. aurait un jour dit, à propos d’un grand cadre et référence académique de surcroît : « […] il n’a que de la théorie ! ». Je le lui concède car, à voir le chemin franchi et la pléthore de nos cadres, il y a de quoi lui donner raison.

Mais a contrario et à leur décharge, peut-être qu’ils ont eu systématiquement à subir une hiérarchie (parfois limitée) qui leur impose son point de vue ! Évidemment, cela ne dédouane ni les uns ni les autres. Loin de moi, bien sûr, l’idée d’être réducteur pour l’enseignement, la formation et l’éducation en général dont l’épanouissement et le développement d’une nation demeurent tributaires. Je vous propose donc juste cette arithmétique simple de rapporter nos ressources à notre population …Diantre, ce n’est pas compliqué !

Un ami parlait dernièrement de l’Indonésie qui arrive à rayonner, avec sept cents langues et deux cents millions d’habitants ! Ils sont quasiment à 50% de faire le podium du record de langue par habitant ! Mieux, ce pays fait partie des pays émergents les plus prospères ! Alors, avec nos quatre langues et nos quatre à cinq millions d’habitants, sauf à être « doués », on aurait dû réussir notre coup ! Je suis moulé, abreuvé dans cette forte foi qui est la nôtre et je crois en l’augure, la prédiction et les signes. Sauf qu’il n’en est rien ! Le ciel nous protège depuis belle lurette, sinon comment tenir aussi longtemps à vau-l’eau ? Il n’y a aucun mauvais augure et encore moins une malédiction insurmontable ! Point de Sisyphe et encore moins de rocher.

Funeste maladresse

Non, rien de tout cela, plutôt notre funeste maladresse comme celles protocolaires durant la cérémonie d’investiture du président de la République. Juste pour rappel, le protocole et l’étiquette sont d’abord, comme les programmes de certification et pour la faire courte, un ensemble de règles qu’on convient de transcrire avant de s’en obliger le strict respect. Elles sont là pour conforter un cérémonial. Je me limiterais ici à deux : les invités officiels arrivent pour les vœux par la gauche du Président, obligeant à chaque fois celui-ci à les inviter à sa droite pour la photo… ; et le Président fut le dernier à sortir de la salle.

Comme dans certaines activités, c’est « l’erreur humaine » et, pour nous, la maladresse en boucle dans sa forme la plus destructrice. Cette habile maladresse que nous avons à nous mélanger les pinceaux à tous les coups ! Et nous avons chacun notre responsabilité et notre pierre, par l’action ou l’inaction dans ce désolant édifice. Le célèbre Abou Teyeb Ahmed ibn al-Hussein qui se faisait appeler Al-Mutanabbī disait, comme s’il s’adressait à nous :  وَلَم أَرَ في عُيوبِ الناسِ شَيئاً  كَنَقصِ القادِرينَ عَلى التَمامِ ; ce qui pourrait se traduire par « Il n’y a pire défaut chez les gens / Que celui de ceux qui ont tout pour être parfaits et n’y arrivent pas ! »

Des niveaux faramineux de trésorerie ont été injecté de manière inédite dans l’économie sociale : allocations mensuelles (transfert téléphone), CNAM, CNASS, frais de dialyse, etc. Jamais ces seuils n’ont été atteints et il s’agit de plusieurs centaines de milliards de nos ouguiyas ! Pourtant, c’est à se demander où sont-ils passés, comme tant d’autres actions qui s’évaporent par un « by-pass » bien huilé aujourd’hui. Ils sont juste victimes de notre communication contreproductive. Il paraît qu’en certains hameaux les bénéficiaires croient recevoir des aides d’ONG internationales (si cela ne leur est soufflé !) : les mauvaises communication et gestion ont malheureusement causé beaucoup de tort.

Le premier mandat de Ghazouani a connu la communication la plus contreproductive, rapportée à un gouvernement dont la politique sociale était au centre de l’action, avec des financements d’une importance inédite. Il faut comprendre qu’en nos pays et quelques soient les bonnes intentions du dirigeant du moment, c’est inévitablement les viviers politiques d’atmosphère qui végètent, se recyclent depuis des lustres et prennent, quasiment toujours les mêmes, le dessus. Ils arrivent toujours à faire dévier de leur trajectoire les meilleurs de nos cadres. Je suppose que tout cela résulte de notre incapacité à affronter l’essentiel, la cohésion nationale et le vivre-ensemble. Ces concepts dont les prérequis consacrent la bonne gouvernance par la méritocratie. C’est là le passage obligé pour se ressaisir, se reconstruire, se relever. C’est là et par là que la Nation se construit.

Un nouveau gouvernement a été formé et je m’en réjouis car il porte en lui cet air de « savoir-faire » qui rassure ou que je pressens tel, en tout cas. On pourra dire ce l’on veut du nouveau Premier ministre mais vous aurez remarqué que les plus habituellement virulents lui reconnaissent cette capacité à faire ce qu’il dit et à coordonner avec beaucoup de mérite. Je le lui reconnais aussi une approche avenante et cordiale avec ses interlocuteurs. Très peu de ceux qui se fossilisent dans l’administration en écrémant les leurs peuvent se prévaloir de cette capacité. C’est ce que nous attendons de nos élus et hauts fonctionnaires : œuvrer pour l’intérêt général au-delà de leurs poches.  

Un patrimoine qui se détériore

Le nouvel organigramme présage déjà des préoccupations actuelles liées à la Jeunesse ou, comme en ce département des Domaines, des biens de l’État et de la Réforme foncière. Beaucoup ne voient pas cet autre aspect encore plus grave de la gabegie lié aux patrimoines immobilier (bâtiments et infrastructures), roulant et foncier qui se détériorent à vue d’œil depuis des décennies.

Une autre dénomination est d’une importance capitale, si toutefois on lui donnait un contenu au-delà du contenant. Il s’agit du Département de la Défense nationale, avec une nouvelle appellation qui lui va comme un gant rapporté à nous : Ministère de la Défense, des Affaires des Retraités et des Fils de Martyrs. Certains se posent la question de savoir ce que le terme « martyr » recouvre. N’étant pas dans la confidence des décideurs, j’en ai une lecture personnelle. Le terme « martyrs » pourrait désigner : la Résistance coloniale sur l’ensemble du territoire (vraiment l’ensemble SVP ! : guerriers, mahadras et confréries…) ; la guerre du Sahara ; le 16 Mars ; les Evénements de 90-91 ; le 3 Juin 2003; les campagnes en territoire malien ; etc.

Il faut dire qu’avec les extrémistes de tous bords dont nous disposons, nous avons chacun notre prisme étroit de lecture ! Ernest Renan disait que  « ce qui constitue une nation, ce n’est pas de parler la même langue ou d’appartenir à un groupe ethnographique commun, c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir. » Il s’agit bien de mon point de vue de faire la Nation après le pays, l’Histoire après la géographie. Ce fut dans toute leur diversité que nos Pères fondateurs ont établi la Mauritanie et jeté les bases de sa Nation. Hélas, cette trajectoire a été écourté, passant par plusieurs corpus politiques qui nous ont malheureusement à chaque fois éloigné davantage de cet objectif.

Dans cette transmission de témoin entre les générations, nous avons besoin, aujourd’hui plus que jamais pour nos enfants, de leur léguer le terreau fertile d’une nation consolidée et réconciliée. D’éviter justement et dès à présent de cliver les générations futures. Cela est possible mais seulement en cultivant la ferme volonté d’y arriver. Que l’on ne se trompe pas ! Toutes les dérives électorales et les tragédies qui en découlent, le manque de solidarité face à tout et son contraire sont le fait de ces tiroirs qu’on se refuse à ouvrir : la cohésion sociale, le vivre-ensemble et le passif humanitaire.

Ils n’ont surtout rien à voir avec les candidats et encore moins avec leurs programmes. Non, il s’agit, d’un côté comme de l’autre, de vecteurs qui saisissent l’opportunité de la vague qui passe. Le genre, l’ethnie et la qualité du candidat comptent pour peu car l’essentiel est le chemin qu’il fera franchir, bien plus que toute autre considération. Je crois qu’il est grand temps d’assainir cette situation de manière objective, honnête et désintéressée de tout commerce politique. On ne peut hypothéquer l’avenir d’un pays, d’une nation, sa cohésion et son vivre-ensemble pour le compte de quelques individus.

On ne peut continuer dans cette Mauritanie des parallèles et de la division. Car à ce rythme, elle sombrera sous les coups des extrémistes de tous bords qui la tiraillent. Personne ne viendra nous aider à la reconstruire, ni pour les uns et encore moins pour les autres. Oui, personne car les lignes rouges ont fortement reculé et la Communauté internationale a tant de problèmes que les nôtres passent pour des caprices ! Plus sérieusement, avons-nous tant perdu foi en nous pour penser que nos problèmes peuvent être réglés par autres que nous-mêmes ?

Dans cette perspective, je suggère de procéder par deux questions essentielles : l’école républicaine (l’Éducation nationale)  et la cohésion nationale (le vivre-ensemble). Dans mon choix et mon soutien assumés au président de la République monsieur Mohamed ould Cheikh El Ghazouani, je me réjouis surtout qu’il fasse partie de ce grand nombre des membres de nos forces armées et de sécurité dont la carrière n’a jamais été entachée. Aussi et juste pour rappel, il y a cette notion de prise en main dont on parle souvent chez les corps constitués pour indiquer la capacité à commander (gouverner, diriger etc.) les hommes, chez certains gradés par rapport à d’autres. Il a donc d’expérience, la prédisposition et certainement aujourd’hui l’ambition d’apporter des réponses à ces questions.

L’école républicaine (l’Éducation nationale)

Les deux concepts sont intimement liés et peuvent être interdépendants. Mais dans l’absolu, l’école construit la Nation. Pour la petite histoire, je raconte toujours que, même pour un copier-coller, nous avons mal réussi car il y a le bon et c’est un art qui permet des raccourcis, en préservant l’éthique dans certaines conditions. Nous avons par exemple pris à la France certaines appellations de départements ministériels. Sauf que nous n’avons pas pris le temps de comprendre ces termes. Par exemple, pourquoi seuls deux départements, la Défense et l’Éducation – même si ce n’est plus le cas car ils ont compris depuis – portaient dans leur dénomination l’adjectif « nationale » ? C’était en réalité pour rappeler leur sacralité pour la souveraineté et surtout leur intouchabilité. Les réformes et orientations dans ces secteurs relèvent quasiment du domaine référendaire.

Or les différentes réformes de notre système éducatif n’ont à ce jour servi qu’à cloisonner davantage notre société, au profit d’un réseau privé national dont les lignes d’enseignement varient d’une école à l’autre. D’un côté, vous avez ce réseau, avec le risque pour certaines d’entre elles, de fermer au bout d’un trimestre, et, de l’autre, les écoles étrangères qui vous prennent votre capital et les intérêts avec. Pour ces dernières, il y a au moins un bémol car elles construisent votre enfant, lui apprennent la méthode, la critique et la synthèse mais pour un autre monde, pour ne pas dire univers. La nature a horreur du vide.

La décision de faire évoluer le système de « l’Excellence » de certaines écoles vers l’émergence et la généralisation de « l’École républicaine pour tous » est un acte courageux et salutaire pour la refondation de l’unité nationale. Comme on le dit en Hassaniya, il s’agira désormais de veiller « comme à sa prière », afin qu’au-delà des éléments du paraître, elle ait le contenu approprié qui commence déjà à l’École Normale des Instituteurs, avec la maîtrise par chaque enseignant du programme pédagogique. C’est là et seulement là que la Nation se construit et que l’avenir apaisé et épanoui de nos enfants se dessine.

La cohésion nationale et le vivre-ensemble  

Il est grand temps de remettre sur la table la question des événements tragiques que le pays a connus lors des années 1990-1991. Une tragique situation d’une gravité extrême qui gangrène notre société. Une timide tentative de résolution fut certes entreprise dans la période des présidents Sidi ould Cheikh Abdellahi (Paix à son âme) et Mohamed ould Abdel Aziz. Mais cette initiative a fini malheureusement en queue de poisson et ses engagements se sont vite évaporés. Or la vérité dudit drame n’en est pas pour autant effacée : il y eut bel et bien mort d’hommes dans d’insoutenables conditions. On peut comprendre mais certainement pas mesurer la peine, la douleur et la souffrance des leurs.

Cette question primordiale constitue de manière incontournable le handicap au départ à toute cohésion ou vivre-ensemble dans des conditions sereines et apaisées. Comme on devrait aisément comprendre que cette situation ait fait depuis des métastases, au détriment de la cohésion sociale. J’en appelle ici au président de la République mais aussi à cette majorité silencieuse, celle qui, rappelez-vous, se complaît dans son silence coupable à ne voir chaque fois, dans nos tragédies récurrentes, qu’un nuage passager. Elle oublie ainsi qu’elle participe chaque fois à détruire un peu plus l’opportunité de cette cohésion et son vivre-ensemble.

J’ose espérer et je suggère fortement que nous puissions, durant ce second mandat pour lequel monsieur Mohamed ould Cheikh El Ghazouani est investi aujourd’hui, dérouler le processus de réconciliation et de cohésion nationales. Afin de conforter la perspective de réussite de ce cheminement que nous appelons de tous nos vœux, le premier acte pourrait être la mise à l’écart – juste la mise à l’écart – des acteurs qui lui sont limitants, quels qu’ils soient. C’est déjà un pas important. Quoi de plus exaltant que de faire du mandat de la Jeunesse par la Jeunesse celui également de la Réconciliation nationale pour le Vivre-ensemble ?

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